Il m’est demandé de développer, en un millier de mots, le thème « Le conservatisme en France ». Voilà qui relève de la gageure!
Il faut d’abord s’entendre sur la signification exacte du terme « conservatisme ». Pour l’Encyclopaedia Universalis, il s’agit d’ « une philosophie politique qui est en faveur des valeurs traditionnelles et affirme le primat de la nature sur la raison humaine. Le conservatisme prône la préservation d’une situation ou le retour à une situation passée dans les domaines social, politique, moral, culturel, religieux. En ce sens il s’oppose au progressisme. »
Il me paraît essentiel de souligner le rôle joué par la Révolution française, dans la mesure où elle tend à faire table rase du passé. C’est la rupture radicale qu’elle représente qui va faire émerger un courant conservateur, inquiet de voir s’écrouler le socle sur lequel s’étaient forgées les coutumes et les valeurs. On verra ainsi le romantisme se développer en réaction à l’Esprit des Lumières.
Macron, Le Pen et Zemmour
Mais, en dépit des soubresauts qui ne manqueront pas de l’agiter, la France s’inscrira clairement dans la modernité et le progrès. Ce progrès, le général de Gaulle y fut particulièrement sensible, tout en précisant : « Il faut le progrès, pas la pagaille ». Pour lui, la pagaille c’était notamment le régime des partis politiques. Aussi était-il plus sensible au concept de vaste rassemblement.
On pourrait établir ici le lien avec l’initiative du mouvement « En marche », lancée il y a six ans par Emmanuel Macron. Sa démarche consistait à réduire la gauche et la droite à néant pour gouverner au centre. Toutefois le style de gestion verticale, adopté par Emmanuel Macron, (en faisant notamment abstraction des corps intermédiaires) l’a finalement plongé dans l’impopularité tout en suscitant la montée des partis extrêmes, particulièrement à droite.
De Marine Le Pen à Eric Zemmour en passant par Nicolas Dupont-Aignan et les Républicains, tous se revendiquent aujourd’hui de l’héritage gaulliste. En s’appuyant sur les points suivants: le souci de la grandeur de la France et de la sauvegarde de sa souveraineté, l’inquiétude quant à la perte de son identité et de ses valeurs face à une immigration débridée.
Trois flammes
Or, le général De Gaulle, était profondément attaché aux « trois flammes » qui ont contribué à forger la nation française : « Il y a ce que j’appellerais la flamme sociale ; la flamme de ceux qui ne veulent pas de l’injustice sociale (…). Il y a la flamme proprement chrétienne qui, d’ailleurs, au fond, est de la même source que la première et inversement. Nous sommes un pays chrétien, c’est un fait. Nous le sommes depuis très longtemps. (…) Enfin il y a la flamme de la tradition. Cela est une chose qui existe dans notre pays et qui doit exister. On ne peut pas faire la France en reniant le passé tous les jours. Tout se tient! »
Ce rappel de la tradition a, on ne peut le nier, une connotation conservatrice. De même, lorsqu’abordant le thème de l’immigration/intégration, de Gaulle dit à son ministre Alain Peyrefitte :
« C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. Qu’on ne se raconte pas d’histoire ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français. Ceux qui prônent l’intégration ont une cervelle de colibri, même s’ils sont très savants. Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l’intégration, si tous les Arabes et les Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherez-vous de venir s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »
Pour les protagonistes de la thèse du « grand remplacement », une telle analyse est évidemment du pain bénit.
Chateaubriand
Enfin un autre trait caractérise les mouvements conservateurs, c’est l’attachement à l’ordre. Le respect des forces de l’ordre ne peut être remis en cause. Ce qui pose problème, c’est lorsqu’il est un prétexte à la récupération à des fins électorales. On a pu avoir un exemple de cet attachement avec la mort de l’adolescent Nahel. Celui-ci fut abattu d’une balle par un policier alors qu’il tentait d’échapper à un contrôle. Cet épisode a provoqué une vague d’émeutes violentes sur l’ensemble du territoire français. On a alors entendu parler de guerre civile et de la possibilité de recourir à l’état d’urgence.
En conclusion, la droite extreme s’affirme en France, comme d’ailleurs dans plusieurs pays européens (Pologne, pays scandinaves, Hongrie, Autriche, Italie). On assiste véritablement à un basculement. Et le journaliste-écrivain Jean-François Kahn de s’interroger : « Je ne vois pas comment est-ce que la droite française peut échapper à une forme d’alliance avec le Front national. Il y a même une partie de la gauche qui souhaite finalement une victoire électorale de la droite dure, qui lui permettrait de se refaire! Rien n’est d’ailleurs moins sûr… »
L’attitude de Chateaubriand peut inspirer notre réflexion. En effet, issu de la noblesse, il regrettait certainement la disparition de l’Ancien régime et de ses valeurs. Mais il avait aussi assez de lucidité pour savoir qu’on ne peut ramer à contre-courant de l’Histoire. Dans ses « Mélanges politiques », il écrivait ce qui suit :
« Les institutions de nos aïeux (…) sont sans doute à jamais regrettables ; mais peut-on les faire revivre entièrement ? (…) En vain voudriez-vous revenir aux anciens jours : les nations, comme les fleuves, ne remontent point vers leurs sources (…). Le temps change tout, et l’on ne peut pas plus se soustraire à ses lois qu’à ses ravages. »
Une chose, en tout cas, est sûre : il ne faut pas compter sur les conservateurs pour opérer les réformes indispensables que ce monde en pleine mutation exige. Le repli sur soi est mortifère. Quant aux régimes extrêmes, de gauche comme de droite, ils se sont révélés incapables d’œuvrer à la libération de l’Homme.
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